Pourquoi nous enseignons encore les langues comme le latin – et pourquoi cela vous ralentit

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Pourquoi les cours de langues sont-ils si axés sur la grammaire, et est-ce réellement utile ?

La persistance de l’enseignement grammatical des langues : une perspective historique et cognitive

Introduction : l’héritage des langues mortes dans les salles de classe d’aujourd’hui

Si nous continuons à faire ce que nous avons toujours fait, nous continuerons à obtenir les mêmes résultats. Alors nous innovons. Mais si nous innovons sur des bases défectueuses, nous ne faisons que construire de nouvelles erreurs, plus sophistiquées. Un véritable progrès exige à la fois des idées nouvelles et une compréhension claire des raisons pour lesquelles les anciennes se sont imposées.

Posez-vous la question : pourquoi l’enseignement des langues étrangères repose-t-il encore principalement sur la théorie grammaticale ? Pourquoi les apprenants sont-ils amenés à croire que maîtriser les règles d’une langue est la clé pour la parler ?

Une réponse essentielle ne se situe ni dans la linguistique appliquée, ni dans les sciences cognitives, ni même dans les meilleures pratiques pédagogiques, mais dans l’histoire — plus précisément dans l’évolution de l’éducation à partir de l’enseignement du latin et du grec ancien, deux langues qui ne sont plus parlées comme langues maternelles depuis plus de 1 300 ans.

Un système conçu pour lire, pas pour parler

Le latin et le grec ancien, piliers de l’éducation classique, étaient les langues des érudits, du clergé et de la noblesse — non celles des marchands ou des paysans. Leur usage était essentiellement littéraire, et leurs méthodes d’enseignement en étaient le reflet.

L’objectif n’était pas la fluidité orale, mais le déchiffrage des textes. La compréhension écrite et la traduction étaient prioritaires ; la prononciation était secondaire, et l’expression orale presque inexistante.

Au fil des siècles, ces langues classiques sont devenues synonymes d’éducation elle-même, façonnant la manière dont les langues modernes allaient être enseignées. Résultat : un modèle conçu pour analyser les langues, et non pour les acquérir.

Comment le grec et le latin ont façonné l’éducation telle que nous la connaissons

La tradition consistant à étudier la grammaire avant toute forme de communication trouve son origine directe dans l’enseignement du grec et du latin en Europe médiévale et renaissante. À cette époque, l’éducation était principalement réservée au clergé et aux élites, qui utilisaient le latin non pour converser, mais pour accéder aux textes savants, juridiques et religieux.

L’enseignement classique ne visait pas la prise de parole, mais la discipline intellectuelle — un entraînement de l’esprit fondé sur la logique et la structure. L’étude grammaticale était un exercice de rigueur mentale, bien plus qu’un outil de communication pratique.

Les étudiants apprenaient par cœur les déclinaisons, les conjugaisons, les règles syntaxiques et les exercices de traduction — non parce qu’ils devaient discuter en latin, mais parce que la maîtrise de ces structures était considérée comme la marque d’un esprit cultivé.

Lorsque les systèmes d’éducation de masse se sont développés au XIX? siècle, les méthodes d’enseignement du latin et du grec ont été simplement transposées aux langues modernes comme le français, l’allemand ou l’anglais. L’hypothèse implicite était que si cette approche avait fonctionné pour le latin, elle devait forcément fonctionner pour toutes les langues.

Le problème ? Le latin était — et reste — une langue morte. Le français, l’allemand et l’anglais ne le sont pas.

Ce qui constituait une méthode efficace pour analyser des textes anciens est devenu une méthode dysfonctionnelle pour apprendre à communiquer réellement.

Pourquoi l’enseignement fondé sur la grammaire perdure : l’inertie des institutions

De nombreux apprenants qui souhaitent apprendre le français ou une autre langue étrangère suivent des années de cours sans pour autant acquérir des compétences de base solides ni atteindre une véritable aisance à l’oral.

Ce constat n’a rien de polémique ; il est observable. Pourtant, la méthode grammaire-traduction reste dominante dans de nombreuses écoles de langues. Pourquoi ?

  1. La dépendance au chemin emprunté — Les systèmes éducatifs tendent à préserver les traditions, même longtemps après qu’elles ont cessé d’être efficaces. Le latin et le grec ancien ont servi de modèle initial, et ce schéma persiste, même lorsqu’il est appliqué à des langues destinées à la communication quotidienne.
  2. L’effort cognitif — Les exercices grammaticaux sont clairs, structurés et relativement faciles à enseigner. À l’inverse, l’apprentissage par immersion — où les apprenants acquièrent la langue par l’interaction — est désordonné, imprévisible, et cognitivement exigeant, autant pour l’enseignant que pour l’apprenant.
  3. Les évaluations standardisées — Les examens à enjeux élevés mesurent ce qui est le plus facile à quantifier. Les règles de grammaire se prêtent bien aux questionnaires à choix multiples. Une conversation spontanée dans une langue étrangère, beaucoup moins.

La psychologie de ce que signifie « connaître » une langue

Cette obsession pour la grammaire découle également de notre définition même de ce que signifie « connaître » une langue.

Lorsqu’on demande à quelqu’un s’il connaît le français ou l’espagnol, il évalue souvent son niveau à partir de règles — conjugaisons, genres des noms, temps verbaux — plutôt qu’en fonction de ses capacités réelles à interagir et à communiquer efficacement.

C’est pourtant comparable à définir la compétence musicale par la capacité à réciter la théorie des enchaînements d’accords plutôt que par l’aptitude à jouer du piano.

En réalité, le langage s’acquiert de manière instinctive, et non à travers des formules rigides.

Les êtres humains acquièrent leur langue maternelle par l’exposition, l’interaction et le besoin de communiquer — certainement pas en analysant des phrases.

Aucun enfant ne se dit : « Avant de prononcer cette phrase, vérifions que l’accord sujet-verbe est correct. »

Les tentatives de changement et la résistance à l’innovation

Depuis plus de 70 ans, la linguistique, les sciences cognitives et les sciences de l’éducation ont apporté des connaissances approfondies sur la manière dont les langues sont acquises.

Les approches immersives, l’enseignement communicatif des langues et l’apprentissage par tâches offrent des alternatives nettement plus efficaces que la méthode grammaire-traduction.

Les cours devraient avant tout aider les apprenants à acquérir les éléments linguistiques nécessaires pour poursuivre la pratique et l’usage de la langue en dehors de la classe. L’accent devrait être mis sur l’application concrète, afin que ce qui est appris en cours soit renforcé par une utilisation quotidienne.

Et pourtant, le changement reste lent. Pourquoi ?

Le problème n’est pas seulement la méthode — mais aussi la formation des enseignants

Dans de nombreux cas, le principal obstacle n’est pas la théorie, mais la formation des enseignants.

Prenons par exemple le CELTA, la certification d’enseignement de l’anglais la plus reconnue. Ce programme, qui compte 120 heures de formation, aborde la planification des cours, la gestion de classe et l’enseignement des différentes compétences (lecture, écriture, expression orale, compréhension orale).

Mais, fait crucial, seules six de ces heures sont consacrées à de véritables mises en situation d’enseignement.

Peu de domaines accepteraient un tel niveau de formation comme préparation suffisante à la pratique professionnelle.

À titre de comparaison, un diplôme universitaire typique dans des domaines comme l’éducation, la psychologie, la médecine ou le travail social exige des milliers d’heures de formation, incluant des centaines d’heures de pratique supervisée et d’analyse critique.

Être un enseignant de langue compétent ne signifie pas nécessairement suivre un parcours académique long.

Ce qui compte avant tout, c’est une compréhension approfondie de la manière dont les langues sont apprises — compréhension qui peut provenir d’une formation structurée, de recherches personnelles ou d’une approche critique du sujet, de son histoire, de son évolution et de ses applications concrètes.

Par ailleurs, de nombreux enseignants de langues n’ont jamais étudié l’acquisition d’une langue seconde.

Ils reproduisent les méthodes qu’ils ont eux-mêmes subies, perpétuant ainsi un système dépassé.

Le cas de l’anglais : quand la grammaire entrave la communication

L’approche centrée sur la grammaire ne se limite pas à l’enseignement des langues étrangères.

Dans certaines régions des États-Unis, même l’enseignement de la langue maternelle est resté fortement axé sur la grammaire jusque dans les années 1990.

De nombreux adultes ayant grandi dans ce système associent encore le fait de « bien connaître » l’anglais à la capacité d’analyser une phrase grammaticalement, même s’ils peinent à produire des textes élégants ou à exprimer des idées complexes à l’oral.

Il s’agit ici d’une erreur de catégorie : confondre l’apprentissage d’une langue avec l’analyse linguistique.

Le premier concerne la communication ; le second consiste à décortiquer un système que l’on maîtrise déjà.

Le problème d’efficacité : pourquoi l’apprentissage des langues prend-il tant de temps ?

Un exemple frappant de l’inefficacité des cours traditionnels réside dans le temps nécessaire pour atteindre un niveau de base. Prenons le français comme exemple :

  • Niveau A1 (débutant) : Les cours traditionnels exigent souvent plus de 200 heures, alors que des approches immersives peuvent permettre d’atteindre le même niveau en 20 à 30 heures, voire moins, dans des conditions idéales.
  • Niveau A2 (élémentaire) : De nombreux parcours traditionnels dépassent les 400 heures, alors qu’une exposition structurée et intensive pourrait amener un grand débutant à ce niveau en 40 à 50 heures.
  • Niveau B1 (intermédiaire) : Les inefficacités deviennent encore plus visibles, les apprenants stagnent souvent en raison de la priorité donnée aux exercices grammaticaux plutôt qu’à une interaction significative.

Dans certains cas, cette inefficacité provient d’un manque de compréhension des méthodes d’enseignement efficaces.

Mais dans d’autres, enseigner les langues de manière plus rapide n’est pas toujours dans l’intérêt des écoles de langues ou des enseignants indépendants.

Un progrès plus rapide peut entraîner une baisse de la fidélisation des élèves, et dans un secteur où l’acquisition de nouveaux clients est complexe et coûteuse, il existe peu d’incitation financière à optimiser l’apprentissage.

Cela crée un paradoxe : les écoles doivent permettre aux apprenants de progresser suffisamment pour percevoir des résultats, mais pas de manière si efficace qu’ils n’aient plus besoin de cours.

Ainsi, de nombreux programmes sont conçus pour durer longtemps plutôt que pour produire une véritable maîtrise de la langue.

Que faudrait-il changer ?

Si l’enseignement des langues s’alignait sur les connaissances actuelles issues des sciences cognitives, nous devrions :

  1. Donner la priorité à l’oral et à la compréhension — La capacité à comprendre et à produire la langue devrait précéder l’étude formelle de la grammaire, et non l’inverse.
  2. Redéfinir la compétence — La réussite devrait être évaluée en fonction de la capacité à communiquer, et non de la récitation de règles.
  3. Repenser la formation des enseignants — Les enseignants doivent recevoir une formation solide en acquisition des langues secondes, et pas seulement être exposés à des méthodes traditionnelles.
  4. Réinventer l’évaluation — Les tests devraient privilégier les échanges spontanés et l’usage concret de la langue plutôt que les questionnaires de grammaire à choix multiples.

Conclusion : repenser l’enseignement des langues

La persistance d’un enseignement centré sur la grammaire n’est pas une simple anomalie du système éducatif — c’est un vestige historique.

Le latin et le grec ancien, avec leur focalisation sur la lecture et l’écriture plutôt que sur l’oral, ont façonné un cadre dont les langues modernes peinent encore à s’échapper.

La grammaire a sa place, mais la langue est avant tout un outil de communication, non un exercice intellectuel abstrait.

Les meilleures expériences d’apprentissage se produisent en présentiel, à travers une conversation active, l’exposition à des locuteurs natifs, des supports authentiques et une pratique autonome.

La bonne nouvelle ? Le modèle d’un enseignement des langues plus efficace existe déjà.

En alignant les pratiques pédagogiques sur ce que nous savons aujourd’hui du fonctionnement du cerveau humain, nous pouvons enfin réduire l’écart entre théorie et pratique — et rendre l’apprentissage des langues aussi naturel et efficace qu’il devrait l’être.

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